qui suis-je ?
suis-je celui que le vent a créé
Suis-je alors ce vent, ou le vent c'est moi
Suis-je les nuages, ou serait-ce ces nuages qui m’ont créé
Je suis la vague, la vague c’est moi,
Toujours la même, toujours autre,
Qui suis-je,
la montagne, la lune, la vague, le fleuve, la rivière,
un air de musique, un quintet de Schubert,
une étoile filante, un flocon de neige,
une goutte de pluie sur une vitre fêlée,
d’où je viens : de nulle part,
où vais-je : nulle part,
Mon pays n’existe pas encore,
n’a jamais existé ou a disparu,
effacé de la carte ou oublié des hommes
Terra incognita dont on n’entend parler que par oui-dire,
comme d’un mythe tres ancien,
ou d'un triangle des bermudes,
Comme un après-midi d’enfer ou un avant-midi de paradis,
d’un paradis perdu, comme tous les paradis,
comme tout commence au paradis et finit en enfer.
Je suis cette gorgée de cafe turc amer
que je sirote lentement au lever du soleil,
sur la nappe à carreaux blancs et verts,
posée sur le Bosphore, dans la brume de merveilles,
La brume me cache la fuite de mes amours trahis,
je ne l’ai pas vue partir,
elle est partie comme la mort,
sans jamais se retourner, d’un coup de vent,
les cheveux aux vents,
je ne me suis même pas retourné pour la saluer,
la regarder aurait été trop dechirant,
elle était l’aurore qui s’envole,
comment conserver l’aurore dans ses mains,
je ne la conservais que comme un point noir dans la rétine
aveuglé par la beauté de l’absence
elle m’avait retrouvé au moment du départ
je ne l’avais reconnue que parce qu’elle s’etait éloignée
elle etait Juive et j’etais Arabe
elle fut tout pour moi,
mon premier et mon dernier amour,
je l’aimais
plus longtemps qu'elle ne m'avait jamais aimé
je n’etais pas grand-chose pour elle,
puisqu’elle en épousa un autre
tout en préférant Jérusalem à nous deux
pendant que nous nous occupions à nous éloigner
l'un de l'autre, la guerre se rapprochait
et fatalement nous rapprochait
à nouveau, le grand jour arriva
où, fatalement, nous nous retrouvâmes,
de part et d’autre de la ligne de nos âmes,
de coups cette fois-ci, nous ne tirâmes,
ni elle ni moi, je vous le précise,
et là je compris
qu’elle devait, et combien, m’aimer
bien qu’elle ne me l’avait jamais
vraiment avoué
peut-être même, qu'en fait, même
elle m’avait toujours aimé,
et peut-être même, qu'en fait, même,
elle m’avait aimé plus que je ne l’avais aimée.
je ne la revis jamais plus,
séparés que nous étions
par le mur de la honte et de l’échec
l’existence on ne la vit qu’après coup
dans le souvenir des larmes
le présent se définit
au futur par rapport au passé
et l’amour ah oui l'amour
se conjugue dans un passé
décomposé plus qu’imparfait
les massacres se font sans tragédies aujourd’hui
sans bannieres sans frémissements et sans bruits
pas de voix de femmes
ni de voix d’hommes qui hululent
dans le silence des bombes
sauf un enfant la tête dans la poussière.
peut-être que l’absence de tragédie
est notre veritable tragédie.
les choses ont le goût
de la victoire pour ceux qui crurent
et le goût de l’exil pour ceux qui disparurent
une clef autour du cou et leur amour perdu
qu’est-ce que cela fait
que l’homme vive ou crève,
quelle importance
il n’est qu’un piteux accident
sans grande conséquence
dans la symphonie des constellations,
dieu merci nous ne sommes pas immortels
nos vicissitudes ne durent qu’un temps
et l’infiniment petit de notre
vie se perds déjà dans l’infiniment grand du temps
Il y a encore cette musique de Schubert
qui me trotte dans la tête
depuis tantôt, depuis toujours, depuis que,
petit, quand ma mère, le visage en larmes,
soulevait le grand battant du piano noir
et jouait ces notes blanches et noires
pour faire valser la tristesse de mes jours
J’aime aragon et mahmoud darwich,
verlaine et beaudelaire,
proust et ses heures riches,
edgar allan poe, kafka et faulkner,
Non, rien de rien, non je ne regrette rien,
Je dors dans le vide de mon texte
et mon texte n'est pas mon identité,
J’ai le passé de mes étoiles et mon futur est mon passé
« nous errons à travers des demeures vidées,
sans chaines sans draps blancs sans plaintes et sans idées,
spectres du plein midi revenant du plein jour
fantômes d’une vie où l’on parlait d’amour », Aragon, vingt ans après,
© 2009 Marwan Elkhoury