Saturday, May 8, 2010

La chanson du pêcheur

Je baigne dans la volupté du néant
Plein d'espoir d'attentes échouées
Je suis plein d'appétits pour des mets avariés
Que j'avale lentement, délictueusement.

Je fredonne des mélodies d'amours surannées
Sur un piano bien désaccordé
Je me rattache à des mots pour ne pas sombrer
Et pleure une vie brûlée aux flammes éthérées.

Au début, je vécus heureux
Dans l'innocence de ma première enfance
Mais peu à peu dégringola mon bonheur
Dans l'enfer des guerres imprudentes

Et d'un jour à l'autre, j'appris
De la folie des hommes
Que le bien est le mal et le mal,
Est le mien.

J'ai vu pour les autres se lever le soleil
Au-dessus des nuages gris qui s'amoncellent sur mon ciel
Je n'attends plus que l'espoir de la mort
Pour me sauver des torts de mon corps mort.

Je veux partir cacher au fond des mers
Ma tristesse infinie
Et fuir les malheurs de la vie
Dans l'au-delà amer.

Je chante un air sublime
Aux étoiles qui brillent dans l'abîme
Le vent gémit à travers les branches
La complainte du pêcheur aux lèvres blanches.

©2010Marwan Elkhoury

Thursday, April 1, 2010

L'obscur objet du hasard

Je me demande encore
Combien de temps faut-il pour vivre
Et combien pour mourir
Combien de temps faut-il pour aimer
Et combien pour haïr
Combien de temps faut-il pour rire
Et combien pour pleurer.

Je me demande encore
Si le temps de vivre
Est-il égal au temps de mourir,
Si le fini de la vie,
Vaut-il l'infini de la mort.

Qu'on ne me parle plus d'amour
Quand je n'entends que haine
Qu'on ne me parle plus de dieu
Quand je n'entends que diable
Qu'on ne me parle plus de rien
Quand je n'entends plus rien.

Je suis las de l'obscur objet du hasard,
Un tissu déchiré contre un visage hagard
Un bâtard pendu à un mât de cocagne
Parti en cavale dans la morne campagne.

Je ne trouve plus l'inspiration des lieux
Aucune raison d'avoir, encore moins d'être
Qui que quoi pourrait encore me sauver

Je suis condamné à vivre
Comme d'autres le sont à mort.
Je n'ai pas le droit de partir.

De ces trois fuites,
De l'art, de l'amour ou de la mort,
Seule la mort serait à ma portée,
Quoique, en y réfléchissant bien,
Je n'y vois aucune différence donnée.

Dans les fracas de mon âme,
J'entends les ruptures du monde
Et dans les silences de mes larmes,
J'entends les fureurs de l'atome.

Je ne demande que la reddition des anachorètes
Et la levée des armes contre la mystique des sages.
L'holocauste sacré des premiers esthètes
N'effacera pas la beauté des terrestres paysages.

Je ne peux que rejoindre les fous
Dans leurs tentatives d'humanité,
Et les ascètes dans leur folie du désert.

Il fait froid comme dans une prison
Par l'étroite lamelle d'une fenêtre à barreaux
Je distingue toute la grisaille du ciel
Et sent l'odeur de la pluie sur le carreau.

©2010 Marwan Elkhoury

Friday, March 12, 2010

Amsterdam

Dans la ville d'Amsterdam
Y a des gamins qui dansent
Les rêves qui les hantent
Dans leurs cerveaux sans âmes.

Y a des putains qui baisent
Dans des maisons rouge sang
Et qui chantent toutes en choeur
Comme on prie à l'église.

Y a des putains qui pansent
Les gamins d'Amsterdam
Pour plagier leur amour
Comme on plagie l'argent
Sur les marchés de Londres ou de Gand.

Dans la ville d'Amsterdam
Y a des gamins qui sifflent
Leurs angoisses refoulées
Dans leurs pantalons troués.

Y a que des gosses qui chialent
Dans les rues d'Amsterdam
Leurs raisons qui cavalent
Comme sur des oriflammes.

Y a des espoirs qui s'affaissent
Comme s'affaissent les quais
Dans l'humidité épaisse
Des froideurs océanes.

Dans la ville d'Amsterdam
Y a des cauchemars qui naissent
Dans le vague des âmes

Et qui nous tiennent en laisse
Et nous laissent sans répits
Dans la chaleur épaisse
Des langueurs endurcies.

Dans la ville d'Amsterdam
Il fait gris comme la pluie,
Un jour de neige pourrie.
C'est le jour et la nuit
Ni tout à fait jour ni tout à fait nuit.

Dans la neige d'Amsterdam
Les peurs s'installent
Les pleurs se rassemblent
Et les troubles se forment.

Les maisons patriciennes
Plongent leur seuil dans la vase boueuse
Des temps qui s'écroulent
Dans les villes qui s'enfoncent.

Les morts se conservent
Dans le froid d'Amsterdam
Plus longtemps que les vivants
Plus fraîchement que les indigents.

Je ne suis qu'un pauvre quidam
Qui traîne dans les bars d'Amsterdam
Et pénètre dans ces lieux
Pour oublier plus que pour y boire.

Et dans ces lieux mal fâmés
Je m'assois sur des chaises toutes râpées
De toutes les angoisses égarées.

Et bois pour oublier que dans ces boissons
Aux belles étiquettes délavées
Je me saoûle comme on pisse
Dans les bénitiers des dévoyées.

Je m’oublie dans ces poitrines flasques,
Si affriolées et de couleurs bigarrées,
Et bois pour oublier cette ville d'Amsterdam
Et ce monde glauque et vide.

Enfin, il y a toujours Brel et sa rengaine,
Qui m'obsède sans cesse
Et me trotte dans la tête
Comme une angoisse sans fin.
Au large d'Amsterdam.

Dans la ville d'Amsterdam
Dans la ville d'Amsterdam
Dans la ville d'Amsterdam …

©2010 Marwan Elkhoury

Wednesday, February 24, 2010

Je cherche dans l'aujourd'hui

Je cherche dans l'aujourd'hui ce que,
Dans l'hier, j'ai perdu ou n'ai jamais connu
Et ce que je ne pourrais avoir
Dans ces lendemains sans gloire.

Mais pourquoi se faire tant d'illusions
Car ce qui est perdu est perdu à jamais
Et ce qui n'est pas retrouvé ne se retrouvera jamais.

Les hommes, chassés du paradis, ont reçu
Des dieux, pour se consoler d'une terre,
Une dot avec un parfum d'enfer.

Combien de temps me serais-je donné
Pour apprendre à être et l'oublier.
Combien d'heures sombres me serais-je donné
Pour apprendre à être sans regrets.

Nous avions tous besoin d'inventer des dieux
Pour oublier ce que nous sommes
Oublier ce que nous ne pourrions jamais être
Et oublier que nous ne sommes pas.

De pauvres êtres regardant du côté du ciel
Pour ne pas avoir à se rappeler la terre
Le dur labeur, le froid, les peines et la perte.

Pour calmer la terreur des dieux
Nous leur offrons offrandes et sueurs
Et leur donnons nos plus beaux diamants
Et nos plus belles heures.

Mais les dieux, comme les astres,
Et toute la foisonnante nature,
N'ont que faire de nos mièvres spasmes,
De nos querelles et de nos blessures.

La terre tourne, avec ou sans nous,
Comme ces étoiles, au loin dans le firmament,
Qui brillent bien au-delà de nos désespérances.

Comment réconcilier le jour avec la nuit
L'amour avec la haine, la vie avec la mort
Nous ne sommes que l'ombre de nous-mêmes
Pantins des dieux que nous n'avons su séduire.

Et pourtant, avec les dieux, j'ai préféré frayer
Que tout ce qui est humain, si tristement humain.
J'ai toujours été fasciné par la nature,
Ses humeurs, sa force, sa beauté, ses fractures,
Sans jamais avoir compris l'humain,
Ni ses maux, ni ses préoccupations de marché,
Encore moins ses querelles de clochers.

J'ai tout perdu, ayant tout à perdre,
Amour, argent, caresses, chaleurs,
Femmes, plaisirs, rêves et saveurs,
À présent, qu'ai-je encore à perdre.

Que me reste-t-il en dehors.
Il ne me reste plus qu'à vivre.
Mais quelle belle aubaine alors.

©2010 Marwan Elkhoury

Tuesday, February 9, 2010

Où sont les temps des temps solides

Où sont les temps des temps solides
Où les maisons se tenaient droites
Et les coeurs aussi.

Où sont les amants des bons vieux temps
Où les mains se tenaient tout simplement
Et les corps aussi.

Où sont les forêts de nos souvenirs
Où les rêves s'épanouissaient
Dans les clair-obscurs de nos frayeurs muettes.

Où sont nos villes, où sont nos vies
Quand nos pères bâtissaient nos destins
Et nos mères préparaient le festin.

Où sont nos plages, où sont nos mers
Où nos amours languissaient
Et nos espoirs se noyaient.

J'aimerai encore soulever la vague
Et recouvrir les montagnes
De vertes forêts
Et de belles roses sauvages.

J'aimerai encore revivre la naissance
Du bouton de rose
Qui envoûtait mon coeur
De senteur ennivrante.

Ignorant le but, je m'avance,
Imperturbable vers mon destin final
Où la mort m'attends, tenace.

Je la dévisage du coin de l'oeil,
Sans jamais lui avouer
Ma peur du trépas.

Qu'il est difficile d'être
Et qu'il est triste de paraître,
L'homme d'ici, l'homme qui se cherche
Qui sombre dans l'oubli
Avant même de se connaitre.

Et comme nous ne sommes un qu'une seule fois,
Nous nous précipitons, à l'aveugle, devant nous
Avant d'être rattrapés, essoufflés, par nos arrières.

©2010 Marwan Elkhoury

Tuesday, February 2, 2010

L'Eve

Vierge et archange, elle était là, entre ciel et terre,
Adossée au zinc d'un bar glauque sans lumières,
Sis six rue des soupirs grinçants,
Si désinvolte, enjouée, lascive et déconcertante,

Une peau fendue, léchant sa robe moire,
Assortie à son kohl démoniaque, ses cheveux noirs,
Relevant ses yeux bleus en un cou gracile,
Serti de diamants à mille facettes.

Autour de ses genoux d'or, frissonnants,
De longues jambes guindées, voleuses,
Des hanches galbées, une poitrine pulpeuse,
Et les échancrures de sa robe renforçant
Les appâts de ses formes généreuses.

Un miroir au milieu du bar
Renvoyait les mille feux de son corps
Aux mille garçons avachis
De boissons et de morve.

Mais quoi qu’elle s'offrit à tous en reflet,
Elle était de celles qui ni ne se donne, ni ne se prend,
N'appartenant, vestale, à personne sauf à elle-même.

À peine pénétrais-je dans ce saint des saints
Qu'elle m'offrît un regard langoureux
Et entre moi et elle, à dessein,
Tout le monde des soupirs malheureux.

L'Eve était tout en un: amour, séduction, érotisme,
Vénus faite femme, bête sauvage, éros et thanatos,
Et moi, l'Adam, rien du tout, inexistance et mutisme,
Mais avec tout le pathos.

J'avançais mes lèvres qui avaient
Cet avant-goût de ce que peut être la mort
Quand elle se mêle à cet arrière-goût de l'amour amer
Que seul le désespoir de l'infini peut donner,
Une illusion de bonheur éternel dans la reconnaissance du répit éphémère.

Elle n'avait cure qui j'étais.
Je la regardais, afin d'oublier que j'étais
Et l'admirais afin d'oublier qui j'étais.
Je m'abîmais en elle et fracassais ce moi,
Ce moi que je haïssais autant que je la chérissais.

Tout en elle était mystère
Qui voulait la connaître brûlait à jamais dans la lumière.
Et lorsque l'on croyait l'avoir domptée,
Elle s'évaporait dans le feu des lumières de la nuit.

L'amour tout entier n'est-il pas uniquement
Une tentative désespérée et vouée à l'échec
D'accéder aux ultimes paradis perdus !

Retrouver dans les lignes de ce corps perclus,
Les cercles parfaits du ciel et des enfers
Et dans ces formes ovales les sensations vespérales
De tous les arts, de Botticelli à Picasso,
En passant par Fragonard, Delacroix, Picabia et Miro.

©2010 Marwan Elkhoury

Thursday, January 7, 2010

J'ai vu le paradis j'ai vu l'enfer

j'ai vu le paradis
j'ai vu l'enfer
j'ai pleuré
devant le paradis
j'ai pleuré
devant l'enfer

j'ai vu la vie
j'ai vu la mort
j'ai pleuré
devant la vie
j'ai pleuré
devant la mort

j'ai connu l'espoir
j'ai connu le desespoir
j'ai pleuré
devant l'espoir
j'ai pleuré
devant le desespoir

j'ai connu la richesse
j'ai connu la pauvreté
j'ai pleuré
devant la richesse
j'ai pleuré
devant la pauverté

j'ai connu l'amour
j'ai connu la haine
j'ai pleuré
devant l'amour
j'ai pleuré
devant la haine

j'ai vu la paix
j'ai vu la guerre
j'ai pleuré
devant la paix
j'ai pleuré
devant la guerre

j'ai su la beauté
j'ai su la laideur
j'ai pleuré la beauté
j'ai pleuré la laideur

j'ai su la liberté
j'ai su la prison
j'ai pleuré la liberté
j'ai pleuré la prison

j'ai vu le soleil
j'ai vu la nuit
j'ai pleuré
au soleil
j'ai pleuré
dans la nuit

j'ai vu Beyrouth
j'ai vu New York
j'ai pleuré Beyrouth
j'ai pleuré New york

j'ai vu mon poème
j'ai vu mes larmes
j'ai pleuré mon poème
et séché mes larmes.

©2010 Marwan Elkhoury