Monday, January 12, 2009

suis-je celui que le vent a créé

qui suis-je ?
suis-je celui que le vent a créé
Suis-je alors ce vent, ou le vent c'est moi
Suis-je les nuages, ou serait-ce ces nuages qui m’ont créé
Je suis la vague, la vague c’est moi,
Toujours la même, toujours autre,

Qui suis-je,
la montagne, la lune, la vague, le fleuve, la rivière,
un air de musique, un quintet de Schubert,
une étoile filante, un flocon de neige,
une goutte de pluie sur une vitre fêlée,
d’où je viens : de nulle part,
où vais-je : nulle part,

Mon pays n’existe pas encore,
n’a jamais existé ou a disparu,
effacé de la carte ou oublié des hommes
Terra incognita dont on n’entend parler que par oui-dire,
comme d’un mythe tres ancien,
ou d'un triangle des bermudes,
Comme un après-midi d’enfer ou un avant-midi de paradis,
d’un paradis perdu, comme tous les paradis,
comme tout commence au paradis et finit en enfer.

Je suis cette gorgée de cafe turc amer
que je sirote lentement au lever du soleil,
sur la nappe à carreaux blancs et verts,
posée sur le Bosphore, dans la brume de merveilles,

La brume me cache la fuite de mes amours trahis,
je ne l’ai pas vue partir,
elle est partie comme la mort,
sans jamais se retourner, d’un coup de vent,
les cheveux aux vents,
je ne me suis même pas retourné pour la saluer,
la regarder aurait été trop dechirant,

elle était l’aurore qui s’envole,
comment conserver l’aurore dans ses mains,
je ne la conservais que comme un point noir dans la rétine
aveuglé par la beauté de l’absence
elle m’avait retrouvé au moment du départ
je ne l’avais reconnue que parce qu’elle s’etait éloignée
elle etait Juive et j’etais Arabe

elle fut tout pour moi,
mon premier et mon dernier amour,
je l’aimais
plus longtemps qu'elle ne m'avait jamais aimé
je n’etais pas grand-chose pour elle,
puisqu’elle en épousa un autre
tout en préférant Jérusalem à nous deux

pendant que nous nous occupions à nous éloigner
l'un de l'autre, la guerre se rapprochait
et fatalement nous rapprochait
à nouveau, le grand jour arriva
où, fatalement, nous nous retrouvâmes,
de part et d’autre de la ligne de nos âmes,
de coups cette fois-ci, nous ne tirâmes,
ni elle ni moi, je vous le précise,
et là je compris
qu’elle devait, et combien, m’aimer
bien qu’elle ne me l’avait jamais
vraiment avoué

peut-être même, qu'en fait, même
elle m’avait toujours aimé,
et peut-être même, qu'en fait, même,
elle m’avait aimé plus que je ne l’avais aimée.

je ne la revis jamais plus,
séparés que nous étions
par le mur de la honte et de l’échec

l’existence on ne la vit qu’après coup
dans le souvenir des larmes
le présent se définit
au futur par rapport au passé
et l’amour ah oui l'amour
se conjugue dans un passé
décomposé plus qu’imparfait

les massacres se font sans tragédies aujourd’hui
sans bannieres sans frémissements et sans bruits
pas de voix de femmes
ni de voix d’hommes qui hululent
dans le silence des bombes
sauf un enfant la tête dans la poussière.

peut-être que l’absence de tragédie
est notre veritable tragédie.
les choses ont le goût
de la victoire pour ceux qui crurent
et le goût de l’exil pour ceux qui disparurent
une clef autour du cou et leur amour perdu

qu’est-ce que cela fait
que l’homme vive ou crève,
quelle importance
il n’est qu’un piteux accident
sans grande conséquence

dans la symphonie des constellations,
dieu merci nous ne sommes pas immortels
nos vicissitudes ne durent qu’un temps
et l’infiniment petit de notre
vie se perds déjà dans l’infiniment grand du temps

Il y a encore cette musique de Schubert
qui me trotte dans la tête
depuis tantôt, depuis toujours, depuis que,
petit, quand ma mère, le visage en larmes,
soulevait le grand battant du piano noir
et jouait ces notes blanches et noires
pour faire valser la tristesse de mes jours

J’aime aragon et mahmoud darwich,
verlaine et beaudelaire,
proust et ses heures riches,
edgar allan poe, kafka et faulkner,

Non, rien de rien, non je ne regrette rien,
Je dors dans le vide de mon texte
et mon texte n'est pas mon identité,

J’ai le passé de mes étoiles et mon futur est mon passé
« nous errons à travers des demeures vidées,
sans chaines sans draps blancs sans plaintes et sans idées,
spectres du plein midi revenant du plein jour
fantômes d’une vie où l’on parlait d’amour », Aragon, vingt ans après,

© 2009 Marwan Elkhoury

Je me souviens

l’heure de ma fin arrive,
la fin de ma fin aussi,

cette heure qui ne tient plus
qu’au fil du texte 

une fois apposé le point final
sur la dernière ligne
 je partirais
sans plainte et sans remords
et je serais oublié


je ne demande qu’une seule chose 

c’est de mourir en paix
loin de cette terre
En sang, divisée, déchirée. 


je me rappelle encore

cette demeure qui était mienne
celle qui n’existe plus

ces pins tordus
par les vents qui soufflaient
sans cesse 
les déjeuners sous le vieux caroubier
dont les fruits noirs sur les grosses branches lourdes
nous caressaient l’échine en mangeant 

les parties de tawleh dans le jardin

le thé à l'ombre des bougainvilliers
notre premier amour dans le temple de Bacchus 

le lever de lune à travers les colonnes romaines brisées

les cris des enfants dans l’étang


les chevaux de feu tombant
dans la mer à grands coups de sabots
d’écumes et d’éclaboussures.

je me souviens je me souviens je me souviens


je me souviens d’une cité de palais
de 
coussins soyeux
des fontaines de marbre
les clairs de lune dans un ciel indécent,
de ton sein brûlant dans ma paume, tremblant


je me souviens des soirées au coin du feu

se remémorant le passé glorieux
de nos ancêtres

les batailles de Ain Dara et de Majdaloun

qui nous assuraient
à grands coups de sabre et de couteaux
un avenir tout aussi glorieux que le leur


ils ne pouvaient savoir que leurs déchaînements fougueux
nous amèneraient l’esclavage et l’humiliation

que leurs conquêtes allaient devenir notre honte

que leurs haut faits d’armes notre perdition
et leurs récompenses notre anéantissement


aujourd’hui nous traînons notre gloire passée
dans les bas-fonds de Chicago

tenant tête aux truands de cabarets
pour un droit de dépucelage

nous pavanant sur les scènes du monde entier

échangeant mélodrames contre petites pièces trébuchantes


le public, ces jours-ci n’est plus friand
que d’histoires qui finissent bien

et la nôtre finit
comme finissent toutes les histoires, mal

déjà qu’elles finissent,
en soi peut être un bien,

car au moins nous sommes rassurés
que même le mal a une fin.

© 2009 Marwan Elkhoury

Friday, January 2, 2009

Le diable

Le diable est mon frère, mon ami,
Mon compagnon des beaux et des mauvais jours.
À peine né et bien avant d'ouvrir les yeux, il était déjà à mes côtés,
Et, depuis ce moment fatidique, ne m'a plus jamais quitté.

Qu'est-ce que je connais du ciel. Rien.
Mais l'enfer est mon quotidien,
Guerres, cataclysmes et maladies,
Sont le pain de mes beaux jours
Et de mes mauvais jours,
Mieux vaut n'en pas parler.

Pour pallier à toutes les faiblesses
De ma faible constitution,
Depuis le berceau jusques au tombeau,
Tu n'as eu de cesse de me tenter,
Me comblant de richesses et de plaisirs
En satisfaisant presque tous mes désirs.
Tu as permis à mon imagination de s'envoler,
Me faisant oublier la dure vérité de la vie.

C'est de toi que j'ai tout appris,
Du bien jusqu'au mal,
Avec toi, j'ai bu le vin de la connaissance,
Et tu m'as fait connaître le beau et le moins beau
Tu m'as appris à compter
Et surtout, à ne compter sur rien,
Tu m'as appris à dire oui, mais surtout à dire non.
Tu m'as appris à connaître que rien
De ce qui existe n'est ou ne mérite d'être
Mais surtout à connaître que tout ce qui est n'est pas ce qui est,
Et que tout ce qui n'est pas l'est encore moins.

Tu es la révolte, le refus, la transcendance,
L'amour, la haine, l'ascendance,
La folie, le stupre, la luxure, les tentations,
La gourmandise, l'envie, la contestation,
Tu es le tout, sans qui, sans toi, je ne serais rien.

Celui qui a fait le ciel et la terre,
Et le bien et le mal, m'a créé une âme damnée
Que j'ai donné, damné,
Au diable, faute de pouvoir la donner
À dieu qui me l'a refusée.

Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné,
Et fait si faible, pour que j'abdique et
Que je ne puisse lui résister.

Maintenant que j'ai pris goût à le suivre,
Je n'aspire plus à rien d'autre qu'à rester à ses côtés
Que me fait d'être, pour le restant de mes jours, damné
Je l'étais déjà, dès le premier moment de mon existence.

©2008 Marwan Elkhoury