Wednesday, February 24, 2010

Je cherche dans l'aujourd'hui

Je cherche dans l'aujourd'hui ce que,
Dans l'hier, j'ai perdu ou n'ai jamais connu
Et ce que je ne pourrais avoir
Dans ces lendemains sans gloire.

Mais pourquoi se faire tant d'illusions
Car ce qui est perdu est perdu à jamais
Et ce qui n'est pas retrouvé ne se retrouvera jamais.

Les hommes, chassés du paradis, ont reçu
Des dieux, pour se consoler d'une terre,
Une dot avec un parfum d'enfer.

Combien de temps me serais-je donné
Pour apprendre à être et l'oublier.
Combien d'heures sombres me serais-je donné
Pour apprendre à être sans regrets.

Nous avions tous besoin d'inventer des dieux
Pour oublier ce que nous sommes
Oublier ce que nous ne pourrions jamais être
Et oublier que nous ne sommes pas.

De pauvres êtres regardant du côté du ciel
Pour ne pas avoir à se rappeler la terre
Le dur labeur, le froid, les peines et la perte.

Pour calmer la terreur des dieux
Nous leur offrons offrandes et sueurs
Et leur donnons nos plus beaux diamants
Et nos plus belles heures.

Mais les dieux, comme les astres,
Et toute la foisonnante nature,
N'ont que faire de nos mièvres spasmes,
De nos querelles et de nos blessures.

La terre tourne, avec ou sans nous,
Comme ces étoiles, au loin dans le firmament,
Qui brillent bien au-delà de nos désespérances.

Comment réconcilier le jour avec la nuit
L'amour avec la haine, la vie avec la mort
Nous ne sommes que l'ombre de nous-mêmes
Pantins des dieux que nous n'avons su séduire.

Et pourtant, avec les dieux, j'ai préféré frayer
Que tout ce qui est humain, si tristement humain.
J'ai toujours été fasciné par la nature,
Ses humeurs, sa force, sa beauté, ses fractures,
Sans jamais avoir compris l'humain,
Ni ses maux, ni ses préoccupations de marché,
Encore moins ses querelles de clochers.

J'ai tout perdu, ayant tout à perdre,
Amour, argent, caresses, chaleurs,
Femmes, plaisirs, rêves et saveurs,
À présent, qu'ai-je encore à perdre.

Que me reste-t-il en dehors.
Il ne me reste plus qu'à vivre.
Mais quelle belle aubaine alors.

©2010 Marwan Elkhoury

Tuesday, February 9, 2010

Où sont les temps des temps solides

Où sont les temps des temps solides
Où les maisons se tenaient droites
Et les coeurs aussi.

Où sont les amants des bons vieux temps
Où les mains se tenaient tout simplement
Et les corps aussi.

Où sont les forêts de nos souvenirs
Où les rêves s'épanouissaient
Dans les clair-obscurs de nos frayeurs muettes.

Où sont nos villes, où sont nos vies
Quand nos pères bâtissaient nos destins
Et nos mères préparaient le festin.

Où sont nos plages, où sont nos mers
Où nos amours languissaient
Et nos espoirs se noyaient.

J'aimerai encore soulever la vague
Et recouvrir les montagnes
De vertes forêts
Et de belles roses sauvages.

J'aimerai encore revivre la naissance
Du bouton de rose
Qui envoûtait mon coeur
De senteur ennivrante.

Ignorant le but, je m'avance,
Imperturbable vers mon destin final
Où la mort m'attends, tenace.

Je la dévisage du coin de l'oeil,
Sans jamais lui avouer
Ma peur du trépas.

Qu'il est difficile d'être
Et qu'il est triste de paraître,
L'homme d'ici, l'homme qui se cherche
Qui sombre dans l'oubli
Avant même de se connaitre.

Et comme nous ne sommes un qu'une seule fois,
Nous nous précipitons, à l'aveugle, devant nous
Avant d'être rattrapés, essoufflés, par nos arrières.

©2010 Marwan Elkhoury

Tuesday, February 2, 2010

L'Eve

Vierge et archange, elle était là, entre ciel et terre,
Adossée au zinc d'un bar glauque sans lumières,
Sis six rue des soupirs grinçants,
Si désinvolte, enjouée, lascive et déconcertante,

Une peau fendue, léchant sa robe moire,
Assortie à son kohl démoniaque, ses cheveux noirs,
Relevant ses yeux bleus en un cou gracile,
Serti de diamants à mille facettes.

Autour de ses genoux d'or, frissonnants,
De longues jambes guindées, voleuses,
Des hanches galbées, une poitrine pulpeuse,
Et les échancrures de sa robe renforçant
Les appâts de ses formes généreuses.

Un miroir au milieu du bar
Renvoyait les mille feux de son corps
Aux mille garçons avachis
De boissons et de morve.

Mais quoi qu’elle s'offrit à tous en reflet,
Elle était de celles qui ni ne se donne, ni ne se prend,
N'appartenant, vestale, à personne sauf à elle-même.

À peine pénétrais-je dans ce saint des saints
Qu'elle m'offrît un regard langoureux
Et entre moi et elle, à dessein,
Tout le monde des soupirs malheureux.

L'Eve était tout en un: amour, séduction, érotisme,
Vénus faite femme, bête sauvage, éros et thanatos,
Et moi, l'Adam, rien du tout, inexistance et mutisme,
Mais avec tout le pathos.

J'avançais mes lèvres qui avaient
Cet avant-goût de ce que peut être la mort
Quand elle se mêle à cet arrière-goût de l'amour amer
Que seul le désespoir de l'infini peut donner,
Une illusion de bonheur éternel dans la reconnaissance du répit éphémère.

Elle n'avait cure qui j'étais.
Je la regardais, afin d'oublier que j'étais
Et l'admirais afin d'oublier qui j'étais.
Je m'abîmais en elle et fracassais ce moi,
Ce moi que je haïssais autant que je la chérissais.

Tout en elle était mystère
Qui voulait la connaître brûlait à jamais dans la lumière.
Et lorsque l'on croyait l'avoir domptée,
Elle s'évaporait dans le feu des lumières de la nuit.

L'amour tout entier n'est-il pas uniquement
Une tentative désespérée et vouée à l'échec
D'accéder aux ultimes paradis perdus !

Retrouver dans les lignes de ce corps perclus,
Les cercles parfaits du ciel et des enfers
Et dans ces formes ovales les sensations vespérales
De tous les arts, de Botticelli à Picasso,
En passant par Fragonard, Delacroix, Picabia et Miro.

©2010 Marwan Elkhoury